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Le Blog Bonapartiste
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2 février 2005

Voter « Non » pour construire l’Europe ( suite )

Les désaccords en Europe

En Europe, les "petits" pays ne veulent pas d'une domination des "grands", ce qui se comprend bien, et préfèrent, selon le mot de Voltaire, être dirigés de loin par un lion très puissant né beaucoup plus fort qu'eux, que de près par quelques dogues de même race. Marqués par le passé, les pays de l'Est de l'Europe craignent la Russie et gardent un fâcheux souvenir de l'agressivité allemande, de la faiblesse française et de l'attentisme britannique. Ils veulent avant tout la sécurité et espèrent l'assurer en se mettant au service du plus fort.

Les "grands" pays ne s'accordent pas sur un dessein politique.  

Les Britanniques ont abdiqué toute volonté politique auprès des Etasuniens, et se contentent de faire du commerce et de servir leurs maîtres. Ils préfèrent faire partie d'un empire anglo-saxon que d'une Union Européenne, et s'activent donc sans désemparer depuis quarante ans à rallier l'Europe aux Etats-Unis, en n'acceptant que des contraintes minimales.

Les Anglo-saxons ont toujours été protégés par la mer ou l'océan. De ce fait ils n'ont jamais connu d'invasion ni la cohorte de troubles qui en résultent. Leurs classes dirigeantes, politiques, industrielles et intellectuelles, ont été préservées des soubresauts dramatiques subis par celles des autres pays, et ont pu continûment développer leurs entreprises aux siècles passés. Leur avance politique et intellectuelle fut ainsi remarquable pendant deux siècles. Leur avance scientifique suscite encore l'admiration. Les classes populaires elles-mêmes acquirent une instruction de base plusieurs siècles avant celles des autres pays, et, même écrasées de misère au 19e siècle, elles préférèrent l'action politique à la révolte, tandis que l'expansion outre-mer soulageait la tension démographique. Chaque fois que le système international d'une époque fut modifié, ce qui se fit presque toujours par la guerre, les Anglo-saxons laissèrent les autres en porter le poids et intervinrent tardivement, à moindres frais, pour faire pencher la balance de leur côté. Et tandis que les autres Occidentaux ont changé après les désastres de la guerre de trente ans 1914-1945, ils sont restés des nationalistes fervents, animés d'une confiance intacte en eux-mêmes.

Les Anglais ont su, depuis trente ans, faire prendre aux autres Européens l'habitude de leur céder. Affermis par la vigilance de la cité de Londres, les dirigeants anglais, grâce à leur admirable ténacité et leur proverbial égoïsme, ont imposé leurs vues en manœuvrant leurs naïfs adversaires, et réduit l'Europe à une zone de libre-échange. Rendons-leur cette justice qu'ils avaient proclamé leurs intentions bien avant l'adhésion de la Grande-Bretagne à la CEE. A force d'obstination, ils ont imposé leur langue dans l'administration bruxelloise, et par ce biais l'ont aussi imposée dans les administrations nationales de tous les pays d'Europe, qui travaillent sur des documents reçus de Bruxelles. Ils connaissent l'état de démoralisation de leurs seuls concurrents politiques et linguistiques, les Français, et se savent adossés à la puissance des Etats-Unis. Ils pensent donc avoir le choix : diriger l'Europe en faisant des concessions ou sans en faire. Leur choix ne peut faire de doute. Le parti conservateur représente les intérêts de la classe dominante qui estime pouvoir régir l'Europe sans concession, et l'arrimer ainsi à la puissance étasunienne. Mais le parti travailliste ne lui cède en rien sur la volonté de dominer : seules des nuances de méthode les distinguent. Un « non » anglais serait donc bien différent du « non » français : il signifierait que les Anglais, très lucidement, choisiraient de ne pas s'imposer des contraintes inutiles.

Bien sûr, il faudrait nuancer et distinguer les desseins des classes dirigeantes et l'opinion du peuple britannique. En effet, si leur langue n'est pas menacée, les Britanniques souffrent plus que les autres Européens des conséquences de la mondialisation dans laquelle ils sont bien plus engagés. La prospérité des classes moyennes et supérieures s'accompagne d'écarts de revenus sans cesse croissants et d'une dangereuse désintégration sociale. Le peuple britannique pourrait être tenté d'en imputer l'origine à la construction européenne, non seulement par esprit insulaire mais aussi parce que sa tradition politique le rend sensible au mouvement vers l'irresponsabilité générale qu'entraîne l'intégration européenne.

Les seules puissances qui ont intérêt à construire une Europe politique efficace sont donc l'Allemagne et la France, mais dans chacune les classes dirigeantes sont déjà à demi acquises idéologiquement aux puissances anglo-saxonnes qui combattent leur influence mondiale.

Les dirigeants de l'Allemagne sont régulièrement courtisés par ceux des Etats-Unis, qui leur proposent une alliance privilégiée. Pourtant, tant que les gouvernants allemands seront rationnels ils préféreront une alliance avec la France, pays comparable au leur. Ils savent qu'une alliance avec les Etats-Unis serait déséquilibrée, et que chaque fois qu'une velléité d'indépendance leur viendrait on leur rappellerait leur défaite passée. Les Anglo-saxons sont tenaces et savent profiter de leurs avantages : ils feront encore longtemps payer le Nazisme à l'Allemagne. D'autre part, l'Allemagne, pays très industriel, souffre de la mévente de ses produits à l'exportation lors de chaque ralentissement économique, et a de gros problèmes intérieurs à résoudre, économiques et démographiques. Enfin le libéralisme effraie une partie de ses élites, qui se souvient de la ruine des classes moyennes, suite à l'imprudence financière américaine dans les années vingt. Globalement, malgré sa Droite et ses Verts, l'Allemagne pourrait être tentée par l'idée d'une puissance européenne autonome.

La France est la grande perdante de l'évolution de l'Europe depuis trente ans : ses liens avec les pays traditionnellement tournés vers elle se sont effilochés à mesure que les dirigeants français s'obnubilaient vers les tractations européennes. Sa culture dépérit à mesure que les élites françaises se laissent fasciner par leurs adversaires anglo-saxons ; elle ne se renouvelle plus et attire par conséquent de moins en moins. Sa langue qui était la principale langue de travail de l'Europe lorsque plusieurs langues étaient concurremment usitées, est virtuellement éliminée, et de ce fait très affaiblie dans les autres instances internationales, et commence à l'être en France même. Son droit est miné par le droit anglo-saxon. Sa position internationale se rapproche progressivement de celle d'un pays insignifiant, non par une évolution inéluctable du monde, mais par la volonté d'abandon de ses élites sociales et de presque tous ses dirigeants, de quelque bord qu'ils se réclament. Le projet de traité subordonnerait à l'aval de Bruxelles la politique de la France envers les pays francophones : la France serait plus liée à la Lituanie qu'au Sénégal. L'avenir qu'on lui dessine est celle d'une province, proposant un commissaire sur 25 et pesant 8% du Parlement. Les élites françaises s'en réjouissent avec enthousiasme, voyant dans cette déchéance la garantie du maintien de leur prépondérance sociale. Décrier la nation est la seule façon décente d'avouer qu'on méprise le peuple. Un peuple qu'elles étourdissent de paroles et de télé, et qu'elles espèrent mener par le nez comme un ours, puisqu'il est désormais à la merci de la précarité. Quel sera l'avenir ? Un démon masochiste, animé par une puissante propagande, poussera-t-il les Français à préférer cette vassalité à l'indépendance ? Ou feront-ils encore à temps le sursaut salvateur ? Etre libres n'empêche pas de coopérer !


L'échec de la construction européenne

Selon la conception française, le but de l'Union Européenne était de reconquérir les moyens d'agir sur l'avenir, en structurant un espace économique intégré pour permettre à nouveau une régulation économique keynésienne, et en construisant un système politique pour permettre une action internationale délibérée. Mais l'échec est complet. Depuis longtemps l'Union Européenne n'a plus rien à voir avec l'Europe des Six. Il n'y a plus de préférence communautaire, plus de droits de douane, plus de contrôle des mouvements de capitaux. Le démantèlement des dernières politiques économiques est déjà programmé, et il n'y a pas la moindre esquisse d'une démocratie effective ni d'un droit social commun. Le seul droit que l'Europe fasse respecter, mais très rigoureusement, est celui de la concurrence, et très souvent d'une concurrence au niveau mondial. La capitale de l'Europe n'est plus Bruxelles mais Davos.


La crise mondiale

Or, fait capital, qu'il serait trop long de démontrer ici, la CAUSE de la crise que nous vivons est le libre-échange intégral, aggravé par les nouveaux moyens de communication. C'est le libre-échange mondial qui aligne les salaires mondiaux sur les plus bas salaires et les rémunérations des capitaux sur les plus hauts dividendes. C'est l'échange généralisé au long cours qui fait la fortune des financiers, enrichit les intermédiaires, appauvrit les producteurs, ruine les équilibres écologiques, accroît les inégalités, déstructure les sociétés, suscite la violence et abaisse le niveau de la vie intellectuelle.

Dans chaque pays d'Europe, et en France particulièrement, l'histoire sociale récente est celle de l'accroissement du chômage, qui atteint progressivement des couches sociales naguère prospères, et aspire dans la précarité des professions de plus en plus nombreuses. L'Union Européenne, par sa soumission à l'idéologie de mondialisation, est un facteur décisif de ce renouveau de la pauvreté. Coincés entre les financiers anglo-saxons qui créent la monnaie à leur gré, et les capitalistes asiatiques qui exploitent les travailleurs à leur guise, les Européens se condamnent à la ruine. En exigeant des profits
supérieurs à toute expansion économique possible, les financiers pillent les entreprises, que ruine la concurrence des pays à bas salaires. La destruction de l'industrie réduisant le montant des impôts, les gouvernements vendent les biens publics d'autant plus volontiers que l'idéologie les y incite et que l'Union Européenne les y contraint. Mais l'endettement des Etats fait passer les sommes ainsi dégagées aux créanciers, donc aux classes sociales les plus riches. Ainsi privés des moyens d'investir, les Etats ne peuvent plus préparer l'avenir : par exemple, la recherche technique languit tandis qu'elle prospère aux Etats-Unis qui vivent désormais aux crochets du reste du monde. Tant qu'elle acceptera de rester entre le marteau et l'enclume, l'Europe s'affaiblira chaque année davantage. Or ses dirigeants, qui se sentent idéologiquement membres de la classe dominante mondiale, se convainquent eux-mêmes que le seul système économique possible est celui qui ruine leurs pays tout en assurant leur prospérité personnelle.

Tandis que le chômage s'étend, l'expansion économique se poursuit bon an mal an, par des gains de productivité, de sorte que ces deux mouvements contraires élargissent sans cesse les écarts sociaux. Or le projet de traité européen durcirait les mécanismes de siphonnage financier et de domination sociale qui produisent ces inégalités. Bien loin de renforcer l'Europe en l'unissant, ce traité aggraverait la subordination politique par la déstructuration sociale, et les pérenniserait toutes deux.

Il n'y aura pas d'amélioration de la situation politique, économique, sociale ni écologique, tant que de grandes zones d'intégration économique n'auront pas été redéfinies, et reliées entre elles par des écluses formées de droits de douanes et de parités monétaires. Il a fallu trente ans à la finance internationale pour détruire l'ordre économique du monde, il faudra quarante ans pour reconstruire patiemment un ordre plus humain. Ce sera difficile, car reconstituer de grands espaces économiques intégrés réduira nécessairement les courants d'échanges mondiaux, donc lésera des intérêts et suscitera des tensions. Plus tard ce rétablissement sera entrepris, plus grandes seront les tensions. Il faudra donc, pour rebâtir, des architectes prudents et aussi décidés que le furent les démolisseurs. Mais la tyrannie idéologique libérale permettra-t-elle l'apparition d'anti-Thatcher ou d'anti-Reagan ?  

Les hommes politiques n'en sont pas là. Incapables d'analyses ou trop lâches pour les faire connaître, ils ont aggloméré un fatras d'articles qu'ils présentent à présent comme la seule solution possible. Quel étrange état d'esprit ! Pourquoi consacrer sa vie à la politique si c'est pour proclamer qu'aucun choix n'est possible, qu'il n'y a pas d'alternative, rien d'autre à faire que de s'abandonner aux forces du marché ? Mais cette bizarrerie apparente s'éclaire lorsque l'on considère l'inspiration économique libérale de ce projet, qui ne pouvait s'accommoder d'un vrai débat politique.



L'escamotage du débat public

Un fait révélateur est l'extravagante procédure choisie pour élaborer ce projet de traité constitutionnel. Quoique d'apparence publique, cette procédure a échappé à toute sincère tradition démocratique. Les membres de cette convention furent désignés par des pouvoirs nationaux, exécutifs et législatifs, mais sans que des candidatures publiques aient été présentées devant les peuples. En pratique, il s'est agi d'une cooptation à plusieurs degrés, sans exposé de programmes politiques. Certes c'est toujours par des représentants que les citoyens exercent légalement leurs pouvoirs, mais dans ce cas le lien fut extrêmement lâche et ténu entre les citoyens et les « conventionnels » censés les représenter. Les Parlements nationaux n'ont été consultés ni pour établir une liste de principes constitutionnels, ni pour critiquer ou avaliser des chapitres de propositions. Et le politicien qui parvint à s'imposer pour présider cette réunion est à lui seul un symbole : un homme dont le dernier titre de gloire fut d'être récusé par l'un des principaux peuples d'Europe, un homme qui tenta sans succès pendant vingt ans de revenir au pouvoir par des voies démocratiques et qui, faute d'être agréé par ses concitoyens, usa de l'intrigue pour revenir jouer un rôle de premier plan. S'il fut choisi pour présider, c'est parce que sa nationalité paraissait un moyen sûr de forcer son pays à accepter ce projet.

Ces manœuvres obscures furent dissimulées par force rodomontades sur la démocratie. Tout cela est cependant effarant, et devrait réduire ce texte à un avant-projet dont les parlements nationaux discutent longuement avant la réunion d'une assemblée représentative formée de leurs délégués. Il serait même conforme à l'esprit démocratique que des élections législatives fussent organisées spécialement pour élire les parlements chargés d'en débattre.

Or ce projet nous est présenté comme une oeuvre achevée, rédigée par des "sages", avalisée par les pouvoirs exécutifs. Et il instaurerait un échelon politique doté de la personnalité et supérieur aux Etats. Du jamais vu depuis la fin de l'Empire Romain ! Cela mériterait réflexion et débats.  

4 L'étiolement de la démocratie

Mais cette procédure extravagante s'inscrit dans un dessein : c'est la démocratie qui est visée. Une offensive en règle est en cours contre les Etats nationaux, qui sont les seuls cadres historiques effectifs de la démocratie : les fédéralistes européens tentent de promouvoir les régions, qui, hormis en Allemagne et en Italie, ne sont plus des entités politiques depuis au moins trois siècles et ne furent jamais, en aucun pays, des entités politiques démocratiques. Bien sûr la vitalité provinciale est nécessaire, mais le but est clairement d'affaiblir les Etats pour les supplanter à long terme. Il ne s'agit pas seulement de changer d'échelle, ce qui serait déjà un bouleversement, mais de remplacer le débat démocratique, si imparfait fût-il, par des décisions d'experts et des tractations hors du contrôle public.


La régression politique

L'Union européenne telle qu'elle fonctionne a beaucoup contribué à étioler la démocratie. La confusion de l'exécutif et du législatif y est totale, les procédures de décision sont obscures et les citoyens n'y ont pas part. Les parlements nationaux doivent à tout moment avaliser comme lois des règles administratives qui leur sont imposées, et les gouvernements utilisent Bruxelles pour excuser leur impuissance. Et ce n'est pas toujours un prétexte. La prétendue objectivité économique sert à écarter toute discussion. Pas étonnant que le débat politique disparaisse dans tous les pays, que l'abstention augmente, que le personnel politique soit partout de plus en plus médiocre. Lorsque l'on pense aux idéaux de dignité et de responsabilité jadis voulus par les programmes politiques de la Résistance, aux projets de participation du gaullisme, voire même aux utopies de l'autogestion, la régression en cours frappe l'esprit et serre le coeur.


La désintégration sociale

Si l'idéologie européïste séduit tant la nouvelle bourgeoisie, celle qui s'est dégagée des classes populaires à l'occasion des trente glorieuses, ce n'est pas seulement parce que pour cette classe l'anglicisation porte l'espoir d'une ascension sociale, d'une accession symbolique à la sur-classe mondiale, mais parce que l'Europe instaure progressivement une démocratie censitaire. L'obscurité des procédures et l'usage exclusif d'une seule langue -en l'occurrence la langue anglaise mais toute autre langue d'usage unique exclusif serait fatalement ignorée du plus grand nombre, quelle qu'elle soit-  rendent la politique européenne incompréhensible à la plupart des Européens, qui s'en trouvent de fait exclus et se détournent peu à peu du vote. Quelle griserie pour ceux qui ont le sentiment d'être assez instruits pour comprendre ! Peu importe qu'eux-mêmes soient manipulés par des modes renforcées par la puissance des médias ; le renoncement de tant de leurs compatriotes et de tant d'Européens suffit à leur conférer la qualité de citoyens privilégiés. Cette situation est lourde de menaces pour l'avenir, car le suffrage censitaire, de droit ou de fait, en renforçant les inégalités qu'il révèle, conduisit toujours à des explosions : 1791, 1848, 1954. Pour les Français ces trois dates devraient suffire à susciter la crainte.

La haine des nations qu'affichent tant de gens qui se disent modernes (ou post-modernes !) et qu'ils tentent de motiver en imputant les guerres aux nations, avec aussi peu de raison que d'autres, plus à la mode, en rendent coupables les religions, est bien utile pour les ambitieux. L'Etat national étant le cadre des négociations sociales et de l'égalité politique, qui a un profond sens symbolique, le dénigrer permet de justifier la séparation des classes. Comme sous les régimes aristocratiques, les riches se sentent désormais plus solidaires des riches d'autres pays que des pauvres de leur pays. C'est pourquoi l'anti-nationisme fleurit : il légitime l'égoïsme social. Variante archaïsante : l'anti-fascisme sans fascistes, tout ce qui est national étant réputé facho. Variante « tendance » : l'ouverture culturelle, mais uniquement vers les modes dominantes mondiales. Le but est toujours de s'écarter des ploucs, déclarés réacs et infréquentables, et de théoriser la supériorité sociale.


La menace de confiscation du pouvoir

En France, la propagande des partisans du projet est typique, et bien rôdée depuis des années qu'elle sert : demander de répondre par « oui » ou par « non » à un conglomérat de centaines d'articles incohérents. Présenter l'approbation comme l'unique réponse possible, et à vrai dire la seule digne d'un être humain. Tancer par avance les irresponsables qui seraient tenté de fronder. Insinuer qu'une telle déviance ne peut résulter que des pires dérives droitières. Prédire l'apocalypse en cas de refus du projet, sans présenter le moindre argumentaire. Agiter la crainte de la guerre, comme si ce refus dût déclencher un conflit. Tenter de convaincre les gens en leur expliquant que le précédent traité est si mauvais qu'il ne doit surtout pas entrer en vigueur, mais que celui-ci, pourtant préparé sous la même inspiration et dans la même confusion, est excellent et définitif. Voilà la démocratie européenne !

Et le texte proposé ne pourrait qu'aggraver ces tares. Grâce à ce projet constitutionnel la démocratie passe en effet à la trappe, car pour qu'un régime soit démocratique deux conditions au moins sont nécessaires :

- Que les gens comprennent les projets.
- Qu'une presse libre existe, dont les journaux, radios, télés, permettent des discussions publiques.

Transposer la démocratie de l'échelon national à l'échelon européen nécessiterait donc que les Etats prissent la décision de faire enseigner aux enfants, dès l'école primaire, une langue commune, donc décidassent de détruire à terme la culture nationale, de faire oublier à chaque peuple (sauf un) sa langue, ses traditions et son Histoire. On demande aux peuples de se suicider.

En outre un journaliste, un avocat et un imprimeur pouvaient jadis s'unir pour fonder un journal afin de critiquer Louis-Philippe ou Badinguet. Ce temps n'est plus. La presse est devenue une industrie. L'opinion publique mondiale est faite par les Anglo-saxons et à leur profit. Une presse européenne serait dominée par Robert Murdoch et par les marchands d'armes (dont quelques Français, rassurons-nous). La démocratie y gagnerait-elle ?

Maintenir la liberté collective nécessite donc de maintenir les cultures nationales, et les Etats nationaux. La construction de ces Etats a certes été dommageable aux cultures locales et provinciales, mais elle a permis à chacun d'accéder à l'instruction, de tenter une ascension sociale et d'exercer des droits politiques. Le régime qui nous est proposé conduirait au contraire à un nivellement culturel sans précédent et réduirait en pratique les droits politiques.

L'Etat national n'est certes pas une forme politique providentielle, c'est une formation historique et contingente, mais c'est historiquement dans ce cadre que la démocratie s'est développée. C'est le lieu de la souveraineté judiciaire, de l'instruction publique, de l'expression politique, de la promotion sociale (là où elle existe encore), de la répartition des revenus (par l'impôt et par les négociations sociales, là où elles sont encore en usage), de l'intégration civique, de la sécurité publique, de la sûreté militaire. C'est le cadre national et républicain, sous ses aspects politique, monétaire, économique, social, culturel, qui a permis le pacte de croissance de l'après-guerre. C'est bien pour cela qu'il est attaqué. Les fédéralistes européens préfèreraient évidemment des régions influençables.

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