Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le Blog Bonapartiste
Archives
5 novembre 2004

Curieux préambule

Curieux préambule

Sans que cela soit explicitement dit, l’objet du préambule de la soi-disant constitution européenne est de donner une définition consensuelle de l’Europe et de justifier son unification. L’exercice est difficile, on en conviendra. Mais il semble l’être plus encore qu’on ne l’imaginait, si l’on en juge par le résultat auquel les conventionnels sont parvenus. C’est en effet le cas de dire à son propos que ce qui se conçoit mal s’énonce confusément et que les mots pour le dire arrivent péniblement… On s’étonne d’ailleurs qu’un homme aussi brillant que Valéry Giscard d’Estaing ait accepté de cautionner ce texte pitoyable d’un peu plus de vingt-cinq lignes.

Cependant, pour bizarre qu’il soit, ce préambule n’en est pas moins édifiant. On ne saurait donc trop en conseiller la lecture et l’analyse.

Le lecteur y apprend en particulier que "l’Europe est un continent porteur de civilisation", "un continent ouvert sur la culture, sur le savoir et sur le progrès social," qu’elle "entend poursuivre cette trajectoire de civilisation, de progrès et de prospérité" et qu’elle est "désormais réunie", "unie dans sa diversité", "uni[e] d’une manière sans cesse plus étroite", parce que son union offre aux citoyens et aux Etats qui la composent "la meilleure chance de poursuivre […] la grande aventure qui en fait un espace privilégié de l’espérance humaine".

Le contenu de cette "civilisation" y est maigrement décliné en plusieurs concepts épars : "le caractère démocratique et transparent de sa vie publique" qu’il faut "approfondir", "la paix, la justice et la solidarité dans le monde" auxquelles il faut "œuvrer", le "respect du droit" qui est "ancré dans la vie de la société", et enfin "l’humanisme" qui est son "héritage" et dont les "habitants […] ont développé progressivement les valeurs".

Tout cela est "un peu court", pour reprendre la réplique trop connue de Cyrano. Car ces valeurs, au demeurant bien vagues, bien lacunaires et bien platement exprimées, n’appartiennent évidemment pas en propre à l’Europe, ni même à l’Occident, encore moins à la seule Europe communautaire, sauf à considérer, comme à la Belle Epoque, que l’Homme blanc est seul "porteur de civilisation" et qu’il est investi d’une mission civilisatrice et conquérante à l’échelle de la planète. Bien dangereuse conception, en vérité.

Il est vrai, comme nous l’avons déjà plusieurs fois souligné, que la "mondialisation" à laquelle nous assistons n’est au fond qu’une troisième vague de colonisation, et que mondialisme et néocolonialisme ne sont que les deux facettes d’une même réalité.

Plus surprenante encore est la définition des "valeurs qui fondent l’humanisme". A notre classique trilogie républicaine, en est substituée une autre : "l’égalité des êtres, la liberté, le respect de la raison". La fraternité ne serait-elle donc pas un sentiment européen ? Le mot, en tout cas, ne figure dans aucune phrase du préambule.

Et qu’est-ce que cette "égalité des êtres" ? L'égalité entre tous les êtres vivants, entre l’homme et le poisson rouge ? On peut craindre en effet que cette expression ne soit pas seulement une maladroite façon d’inclure la femme dans l’affirmation de l’égalité entre les hommes. Car les conventionnels proposent également aux Européens de se déclarer "conscients de leurs responsabilités à l’égard des générations futures et de la Terre". On n’est donc pas loin de l’écologie fondamentaliste et de la religion du Nouvel Age, dont les adeptes les plus illuminés s’illustrent depuis quelques années outre-Atlantique.

On sait par ailleurs qu’une allusion à l’héritage chrétien de l’Europe figurait dans la première version du préambule et qu’elle a disparu depuis. Elle a été remplacée dans un premier temps par une référence aux "civilisations hellénique et romaine "et aux "courants des Lumières" qui ont "nourri" son héritage, ainsi qu’à "l’élan spirituel qui l’a parcourue et est toujours présent dans son patrimoine". Cela même est maintenant gommé, de telle sorte – soit dit en passant – qu’aucun obstacle de principe ne s’oppose plus à l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne, pas plus l’héritage hellénique et romain que la référence chrétienne.

Des pétitions ont été lancées pour réintégrer la mention explicite du christianisme dans le préambule. Des Etats l’ont réclamée et la réclament encore. Le Pape lui-même s’en est mêlé. Le mieux pourtant, du point de vue des européistes, serait de jeter tout ce fatras aux orties : le respect de la raison, sans majuscule, mais qui rappelle trop le culte de la déesse du même nom ; la responsabilité vis-à-vis de la Terre, avec la majuscule qui la divinise; et tous ces héritages, religieux ou non, sur lesquels on ne réussit pas, semble-t-il, à se mettre d’accord.

La conférence intergouvernementale, qui doit maintenant examiner le texte, aurait également avantage à supprimer l’affirmation par laquelle s’ouvre le préambule et selon laquelle les "habitants" de l’Europe sont "venus par vagues successives depuis les premiers âges de l’humanité". On voit bien qu’en rappelant les "vagues" du passé, les conventionnels ont voulu légitimer celles du présent et de l’avenir. Mais n’est-ce pas nier l’idée même d’Europe? N’existe-t-il donc pas d’Européens véritables? Ne serions-nous que des nomades égarés? Ou cherche-t-on à singer l’Amérique en se donnant des airs – un peu usurpés, il faut le reconnaître – d’immigrants et de pionniers?

L’exercice liminaire auquel se sont livrés les conventionnels ne convainc donc pas, même si, dans un mouvement d’autosatisfaction qui couronne le tout, ceux-ci veulent, en conclusion, que "les citoyens et les Etats d’Europe" se déclarent "reconnaissants aux membres de la Convention européenne d’avoir élaboré la présente constitution". On n’est jamais si bien servi que par soi-même…

Au total, la lecture de ce curieux préambule donne le sentiment très net que l’ambition européenne est creuse, qu’elle n’a pas l’élan, la vigueur, la solidité d’une ambition nationale, et qu’elle s’appuie sur un substrat qui manque de cohérence et de consistance.

Francis CHOISEL

Conseiller Général des Hauts-de-Seine

Publicité
Commentaires
Publicité