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Le Blog Bonapartiste
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5 novembre 2004

Droit de sécession, subsidiarité, rôle des parlements nationaux : Une union sans cesse plus étroite

Droit de sécession, subsidiarité, rôle des parlements nationaux : Une union sans cesse plus étroite

On connaît  l’essentiel du texte auquel a abouti la "Convention" présidée par Valéry Giscard d’Estaing. Ici et là, on s’est plus à en souligner certains aspects, qui constitueraient autant d’"améliorations" institutionnelles, censées rassurer les citoyens attachés à la souveraineté des nations : droit de "sécession", renforcement du principe de subsidiarité, rôle reconnu des parlements nationaux… Certains ont même cru pouvoir affirmer que le projet de traité représentait dès lors, pour la première fois, un "coup d’arrêt à la mécanique" intégrationniste bruxelloise. En réalité, les faux-semblants ne manquent pas.


De ce point de vue, la décision la plus spectaculaire de la Convention réside dans l’introduction de l’article 59 qui définit les modalités d’un "retrait volontaire de l’Union". En soi, le principe même de cet article constitue effectivement une novation : le dogme de l’irréversibilité de la "construction européenne" et de l’adhésion à l’Union est abandonné, ce qui devrait éviter à notre continent une Guerre de Sécession européenne lorsqu’un ou plusieurs États voudront reprendre leur liberté par rapport aux institutions de Bruxelles. Ainsi, "tout État membre peut, conformément à ses règles constitutionnelles, décider de se retirer de l’Union européenne." L’État souhaitant retrouver sa souveraineté notifie sa décision au Conseil des chefs de gouvernement ; une négociation s’engage entre l’État demandeur et le Conseil sur les modalités du retrait ; si aucun accord n’est trouvé, le retrait prend effet à expiration d’un délai de deux ans, si l’État demandeur le décide. Enfin, le retrait n’est pas irréversible, puisque l’État concerné peut ensuite, à tout moment, faire acte de candidature selon la procédure normale.


Toutefois, aucun commentateur n’a jusqu’ici souligné le point suivant : si cette disposition est en effet "radicale", elle est aussi et surtout d’une mise en œuvre plus qu’hypothétique, puisqu’elle n’offre de choix qu’entre le "tout" et le "rien". Si les rédacteurs avaient été sincères, ils eussent donné la possibilité à chacun de se retirer "d’une ou plusieurs des politiques communes". Ainsi eût-il été possible de sortir seulement de la monnaie unique, de la politique extérieure et de sécurité commune, de l’espace Schengen... Tel n’est pas le cas dans l’état actuel de la rédaction du texte. Cela est d’autant plus absurde que certains États ne participent pas à l’une ou l’autre de ces politiques et peuvent continuer à s’en abstenir, alors que ceux qui s’y sont engagés ne peuvent s’y soustraire, sauf à sortir complètement de l’Union.


Or, imagine-t-on par exemple qu’un État fondateur tel que le nôtre, en voie d’intégration depuis quarante-cinq ans, membre de la zone euro et de l’espace Schengen, ne bénéficiant d’aucune disposition dérogatoire, décide de tout abandonner du jour au lendemain ? On peut également évoquer le cas de figure d’un "petit pays". Les citoyens danois ont par exemple l’expérience de l’énorme chantage que peuvent exercer les européistes par la simple évocation d’un "isolement" de leur pays vis-à-vis du reste de l’UE. Le retrait tel qu'il se présente est donc une illusion, illusion fort utile dans le cadre d'une campagne référendaire pour endormir l'électeur hésitant, mais inopérante dans la pratique.

 

Une illusoire subsidiarité

Le principe de subsidiarité, quant à lui, n’est pas nouveau. C’est le traité de Maastricht qui, il y a dix ans, l’a introduit dans les textes européens ; celui d’Amsterdam en a ensuite fait l’objet d’un protocole annexe. Dans le projet giscardien, ce principe est à nouveau défini comme devant "faire en sorte que les décisions soient prises le plus près possible des citoyens de l’Union". Mais chacun peut constater que la pratique quotidienne des institutions bruxelloises s’inscrit en totale contradiction avec cet objectif. Dessaisir en permanence de leurs pouvoirs les gouvernements nationaux et même les collectivités locales au profit de "l’Europe", ce n’est pas rapprocher les lieux de décision des citoyens, mais les en éloigner. Tout le monde en convient. Aussi, certains attendaient beaucoup de la Convention sur ce point. Elle accouche d’une souris.


D’abord, elle répète dans un protocole annexe, décalqué sur celui d’Amsterdam, que "l’Union intervient seulement dans la mesure où les objectifs de l’action envisagée (…) peuvent être mieux atteints au niveau de l’Union". Mais on sait ce qu’il en est : la Commission et le Parlement considèrent systématiquement – ce qui est bien naturel de leur part – que pour tous les problèmes, les choses iront bien mieux si elles sont décidées au niveau européen… c’est-à-dire par eux. Dès lors, ce qui compte, c’est la procédure censée empêcher les institutions européennes d’empiéter sur les États et sur les collectivités locales. De ce point de vue, rien n’est changé : c’est toujours la Cour de justice qui tranche les litiges a posteriori. Or, la Cour de justice est précisément la principale responsable, par ses décisions et par sa jurisprudence conséquente, des dérives centralisatrices. Elle est aussi intégrationniste – voire plus – que la Commission et que le Parlement. On ne peut évidemment compter sur les institutions européennes pour empêcher les dérives des institutions européennes.

 

Des parlements nationaux au rôle fictif

C’est pourquoi certains avaient imaginé d’introduire les parlements nationaux dans le processus de décision européen, comme "contrepoids" et comme "garants" du principe de subsidiarité. Plus proches des citoyens que la Cour de justice et que la Commission, ils apparaissent comme mieux à même de le faire respecter. De cette idée, reprise par la Convention, il reste peu de choses en fait. Un "protocole sur le rôle des parlements nationaux" a été introduit en annexe du projet, mais il ne comporte aucune disposition d’importance. Le fait que l’existence des parlements nationaux soit reconnue n’est certes pas anodin, pas plus que le rappel selon lequel "la manière dont les différents parlements nationaux exercent le contrôle sur leur propre gouvernement pour ce qui touche aux activités de l’Union relève de l’organisation et de la pratique constitutionnelle propre à chaque État membre". Mais le rôle européen desdits parlements se résume, en huit articles, à être "informés" et, en deux articles, à pouvoir coopérer entre eux. Plus importante, du moins en apparence, est la procédure préventive instituée par les articles 5 et 6 du protocole sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité. Ces articles prévoient qu’au stade de l’initiative de la Commission, "tout parlement national d’un État membre ou toute chambre d’un parlement national peut (…) adresser (aux institutions européennes) un avis motivé concernant les raisons pour lesquelles il estimerait qu’(une) proposition (législative) n’est pas conforme au principe de subsidiarité". Le processus est alors le suivant : dans un délai de six semaines après la communication de la proposition par la Commission – ce qui est très court – et si un tiers au moins des parlements nationaux – soit ceux de neuf États dans une Europe à vingt-cinq, ce qui est beaucoup – alertent la Commission, celle-ci "est tenue de réexaminer sa proposition". Mais ce réexamen ne l’engage à rien puisque à l’issue, elle "peut décider (…) de maintenir sa proposition" sans autre condition que d’avoir à motiver sa décision. Il ne reste alors aux parlements nationaux que la possibilité d’attendre l’adoption définitive du texte et de saisir la Cour de justice de Luxembourg, comme peuvent le faire aussi les gouvernements. Nous avons vu ce qu’il advenait de ces recours… Ainsi, les parlements nationaux ont-ils désormais le droit de se plaindre. Vainement.


On ne s’étonnera donc pas que le préambule, comme la Charte des droits fondamentaux reproduite au titre II, réaffirment l’objectif d’une "union sans cesse plus étroite", ni qu’au fil des discussions le "traité constitutionnel" soit devenu "traité instituant la Constitution"; que les directives soient désormais remplacées par des "lois européennes", ce qui est loin d’être anodin; que les compétences de l’Union – "exclusives" ou "partagées" (Cf. BRN du 17/2/2003) – soient élargies ; que la prise de décision à la majorité soit désormais la règle, les cas de décision où l’unanimité est requise devenant exceptionnels. Bien d’autres dispositions, affirmations ou expressions témoignent d’un européisme triomphant.

Il est difficile, dans ces conditions, de suivre le représentant du gouvernement britannique à la Convention, réputé "eurosceptique". Ce dernier n’a pas hésité à crier victoire sous le prétexte que l’adjectif "fédéral", qu’on avait subrepticement tenté d’introduire à l’article 1, a finalement disparu. Piètre victoire, en effet : si le mot n’y est plus, la chose y demeure abondamment.

Francis CHOISEL

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