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Le Blog Bonapartiste
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19 décembre 2004

Europe sociale, vous en êtes surs ?

Projet de directive sur les services :
attention danger
!

Les semaines qui viennent risquent de s'avérer décisives pour la survie de ce qu'il est convenu d'appeler modèle social européen.

Si, par aventure, le projet de directive sur les services venait à se traduire dans les faits, ce sont la plupart des protections sociales édifiées au cours des décennies écoulées qui seraient remises en cause.

Au nom du nécessaire parachèvement du grand marché intérieur, il est en effet proposé, ni plus ni moins, de priver les Etats de leur capacité de réguler la circulation et la fourniture des services. Devenus des marchandises comme les autres, ceux-ci s'échangeraient selon les règles d'un moins-disant social poussant mécaniquement à un nivellement des normes par le bas.

Ambiguë et contradictoire par nombre de ses aspects, ce projet de directive demande à être décryptée avec soin si l'on veut en saisir les articulations les plus dangereuses et les plus hostiles à l'idée habituelle de réglementation.

Une dérégulation sans rivages

Le projet de directive concerne tous les services fournis aux entreprises et aux consommateurs, allant de la publicité, à l'embauche, au commerce, au service du nettoyage et à la construction, exception faite des télécoms, des transports, des services financiers et des services fournis directement et gratuitement par les pouvoirs publics. A l'article 4, il est précisé qu'on entend par service : "toute activité économique non salariée… consistant à fournir une prestation qui fait l'objet d'une contrepartie économique". Ce qui revient à dire que les Services publics non régaliens semblent a priori visés par une directive au champ d'application très vaste… et non stabilisé, puisque, comme chacun le sait, dans un pays comme la France, aucun service public ne peut être défini comme totalement gratuit : on paie sa facture d'hôpital, on paie des frais d'inscription à l'université…

Des garanties qui n'en sont pas

L'une des pièces maîtresses de ce projet de directive concerne le principe du pays d'origine défini par l'article 16. Le prestataire est soumis uniquement à la loi du pays dans lequel il est établi. De ce fait, il peut fournir un service dans un ou plusieurs états membres sans être soumis à la réglementation de ces derniers. Ce que propose le projet de directive, c'est de généraliser cette règle, avec toutes les dérives qui risquent d'en découler naturellement eu égard aux différences de niveau de protection sociale et de réglementation sociale dans les 25 Etats de l'Union européenne. On peut aller jusqu'à dire que l'on se trouve en présence d'une incitation légale à délocaliser vers les pays où les exigences fiscales, sociales (charges sociales notamment) et environnementales sont les plus faibles.

Certes, des dérogations sont bien prévues à l'article 17, notamment en ce qui concerne les travailleurs détachés1. Il n'en reste pas moins que –et c'est là incontestablement l'un des aspects les plus pervers de ce texte- que ces dérogations ne semblent relever que d'un pur effet d'annonce, dans la mesure où leur application s'avère quasiment impossible.

Le paragraphe 3 de l'article 16, au nom de la lutte contre la bureaucratie et la paperasserie, rend quasi impossible tout contrôle des conditions dans lesquelles s'effectue la prestation.

"Les Etats membres ne peuvent pas restreindre la libre circulation des services fournis par un prestataire ayant son établissement dans un autre Etat membre, notamment en imposant les exigences suivantes" :

l'obligation pour le prestataire d'avoir un établissement sur leur territoire,

l'obligation pour le prestataire de faire une déclaration ou notification auprès de leurs autorités compétentes ou d'obtenir une autorisation de ces dernières, y compris une inscription dans un registre ou dans un ordre professionnel existant sur leur territoire ;

l'obligation pour le prestataire de disposer sur leur territoire d'une adresse ou d'un représentant, ou d'y élire domicile auprès d'une personne agréée ;

l'interdiction pour le prestataire de se doter sur leur territoire d'une certaine infrastructure, y compris un bureau ou un cabinet, nécessaire à l'accomplissement des prestations en cause ;

l'obligation pour le prestataire de respecter les exigences relatives à l'exercice d'une activité de service applicables sur leur territoire ;

l'application d'un régime contractuel particulier entre le prestataire et le destinataire qui empêche ou limite la prestation de services à titre indépendant ;

l'obligation pour le prestataire de posséder un document d'identité spécifique à l'exercice d'une activité de service délivré par leurs autorités compétentes ;

les exigences affectant l'utilisation d'équipements qui font partie intégrante de la prestation de son service (2) ;

Cette effrayante litanie permet de saisir la véritable nature de la stratégie développée par la Commission européenne en ce domaine. En principe, la directive fait obligation aux entreprises de respecter la législation locale ; en réalité elle leur donne toute latitude pour s'y soustraire. Dans ce contexte, les salariés détachés auront la plus grande peine du monde à faire respecter leurs droits… supposés.

"Et cerise sur le gâteau", l'Etat membre du détachement ne peut pas imposer au prestataire ou au travailleur détaché par ce dernier, l'obligation de tenir et de conserver les documents sociaux sur son territoire ou dans les conditions applicables sur son territoire (réf. Article 24-1-d). Comment contrôler que le droit local de la prestation de service s'applique puisque les services de contrôle (inspection du travail) n'auront ni interlocuteur, ni adresse, ni document ? Il faudra s'adresser à l'Etat membre du pays d'origine pour connaître l'identité du travailleur détaché, sa qualification, la durée de son détachement, les conditions d'emploi et du travail qui lui sont appliquées (article -24 &2) !

Un mauvais signal envoyé dans le cadre de la négociation sur l'AGCS (Accord Général sur le Commerce des Services)

Ce projet de directive, à la philosophie profondément dérégulatrice, anticipe un tournant radical en ce qui concerne la position récemment défendue par le représentant de l'Union européenne chargé des négociations au sein de l'OMC. Comment désormais, celui-ci, alors que ce projet de directive limite de façon drastique les marges de manœuvre laissées aux Etats pour défendre plus particulièrement les services publics, pourrait-il opposer une fin de non recevoir aux demandes de libéralisation de certains secteurs stratégiques comme : la santé, l'éducation, la culture, et l'audiovisuel ?

L'art et la manière de court-circuiter les processus existants

De même, ce projet de directive rend encore plus difficile la rédaction d'une directive cadre sur les services d'intérêt général. Elle programme quasiment la disparition d'une certaine notion du service public. Quant à la proposition de directive sur le travail intérimaire, elle risque de perdre toute pertinence suite au projet de directive sur les services. En fait, nous sommes en présence d'une stratégie bien rodée qui vise à prendre de vitesse les rares initiatives prises pour conforter le modèle social européen.

Conclusion : une Europe en contradiction avec ses propres principes

Ce projet de directive bafoue les principes énoncés dans le traité constitutionnel et la charte des droits fondamentaux qui y est intégrée. L'Europe proposée par le projet de directive sur les services est celle qui organise une mise en concurrence systématique des droits des salariés et des systèmes productifs, en complète contradiction avec les objectifs de l'Union cités à l'article I-3-&3 : "l'Union promeut la cohésion économique, sociale et territoriale et la solidarité entre les Etats membres".

Et certains s'interrogent encore sur le fait que les bonapartistes disent NON à ce projet de constitution ! Comment et pourquoi voté pour un "machin" qui n'est même pas capable de faire respecter ce qu'il annonce comme un grand pas pour l'Europe et les peuples européens ?

Jules AMIGUES

(1)L'article 17 qui précise les dérogations générales aux principes du pays d'origine spécifie que l'article 16 ne s'applique pas aussi :

  • Aux services postaux, aux services de distribution de l'eau, du gaz, de l'électricité.
  • Aux dispositions du règlement 1408-71 qui déterminent la législation en matière de protection sociale.
  • Aux régimes d'autorisation relatif aux remboursements des soins hospitaliers.
  • Aux exigences spécifiques de l'Etat membre de détachement qui sont liées aux caractéristiques particulières du lieu où le service est fourni et dont le respect est indispensable pour assurer le maintien de l'ordre public ou de la sécurité publique, ou de la protection de la santé publique, ou de l'environnement (& 17)

(2) Le point h est particulièrement nocif en matière d'hygiène et sécurité. Il signifie, par exemple que les exigences concernant les équipements individuels pour un chantier de désamiantage pourraient être remise en cause dès lors que les exigences du pays d'origine sont différentes. Le même raisonnement s'applique en matière d'équipements collectifs (type d'échafaudage, matériels spécifiques à utiliser…).

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